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FRUITS ET LÉGUMES « LONTAN »

Le retour des saveurs oubliées

Ces dernières années, les restaurateurs de la Réunion ont pris conscience de la valeur de leur patrimoine culinaire et parallèlement à l'invasion du prêt à consommer et des « fast-foods », ils s'efforcent de réintroduire légumes et fruits oubliés à leurs tables. Et enrichissent ainsi la cuisine réunionnaise de saveurs traditionnelles trop longtemps délaissées. Un retour aux sources qui réactive les papilles des consommateurs et qui permet de transmettre l'histoire d'une île métisse aux générations futures.

"L'univers n'est rien que par la vie et tout ce qui vit se nourrit" (Ulysse - James Joyce). Dès son apparition sur terre, l'être humain a su exploiter à loisir les merveilles offertes par mère nature pour subvenir à ses besoins nourriciers. Mais la société de consommation étant ce qu'elle est, le roi végétal s'est fait détrôner par le dictat industriel et dans nos assiettes, sont apparus des mets plus étranges et moins nourrissants les uns que les autres.

Fort heureusement, les valeurs culinaires traditionnelles font un retour en force depuis quelques années. Prise de conscience ou effet de mode, après tout qu'importe. À chacun sa motivation, pourvu qu'on se souvienne de l'essentiel et que le palais puisse profiter de toutes les nuances gastronomiques. L'île de la Réunion n'a pas échappé à ce courant et redécouvre, notamment à l'occasion de salons ou fêtes villageoises placées sur cette thématique, ses fruits et légumes « lontan ». Chacun saisit alors l'occasion de se pencher sur son patrimoine culinaire. Un patrimoine bien jeune, car très peu d'espèces fruitières ou légumineuses sont indigènes de l'île. Quasiment toutes les merveilles gustatives que nous connaissons sont arrivées par les airs, par la mer, ou encore et surtout en ce qui concerne les fruits, par les hommes venus coloniser cette terre vierge pleine de promesses. De nombreux ouvrages laissés par les premiers colons en témoignent. On raconte que les engagés indiens, par exemple, n'avaient pas oublié de mettre quelques graines de leetchis dans leurs poches, et les arbres plus que centenaires enracinés sur la côte Est en sont sans doute les héritiers.

Retour aux sources rustiques

Les légumes d'avant-guerre, souvent des féculents tels que la pomme liane (variété de pomme de terre qui grimpe et dont on utilise le fruit et la racine), le cambare, le manioc, la patate douce, l'arrow-root (féculent aux vertus médicales également utilisé comme poudre épaississante) et autre conflore (rhizome utilisé pour nourrir les cochons) ont longtemps traîné derrière eux des relents de pauvreté et de restriction liés à cette époque. Alors les Réunionnais, délaissant une partie de leur patrimoine et suivant le modèle de leurs ancêtres chinois et indiens, ont préféré adopter le riz comme base de leur alimentation. Lequel fut très rapidement associé au caractéristique couple « grain-rougail ». Mais aujourd'hui, diversification gastronomique oblige, les restaurateurs réintroduisent les légumineuses anciennes dans leurs préparations. Ils renouvellent ainsi leurs gammes de base et créent des compositions locales originales. C'est ainsi que le songe est devenu roi des tâbles d'hôtes. On en utilise désormais plusieurs variétés en provenance d'Afrique ou d'Amérique du Sud, et on en exploite toutes les parties (depuis la racine jusqu'aux feuilles, en passant par la tige, également dénommée « bois »), préparées en beignets, en brèdes, en cari ou en gâteau. On retrouve aussi dans les menus d'anciennes variétés de pois et haricots tels que les pois sabres, les pois carrés, les « zantaques », le haricot kilomètre ou encore le voème chinois. Sans oublier les différentes qualités de brèdes,, pariétaire, mouroungue, lastron, etc, et de cucurbitacées : calebasse, citrouille, patole, pipangaye et autre chouchou.

Les fruits oubliés ou rares font également leur réapparition sur les étals des marchés forains et dans les assiettes des consommateurs : la petite pomme de lait (baie sucrée), le vavangue (probablement un des rares arbres fruitiers originaires de l'île -avec la pomme latanier- et dont le petit fruit rond était plutôt consommé comme une gourmandise par les enfants), le délicieusement acidulé et étoilé carambole, le chatoyant pitahaya avec sa pulpe blanche ou violacée parsemée de minuscules graines noires, ou encore la coronille, variété de goyave fortement acidulée, plutôt utilisée pour parfumer les boudins glaces. La famille des annonacés fait elle aussi un retour très remarqué avec le soutien de la Chambre d'Agriculture et aujourd'hui, on glorifie corossol, chérimole, coeur de boeuf, et atte (ou zatte). Mais il faut rappeler que la consommation des fruits, plus particulièrement en dessert, s'est développée avec l'occidentalisation de la société réunionnaise. Traditionnellement, les rares fruits présents dans les cuisines étaient détournés et accommodés comme des légumes : la tomate arbuste, la banane verte, la papaye, les évis verts (zévis ou pommes cythères), les bilimbis (ou cornichons pays), etc...  

La cuisine « lontan », vecteur d'authenticité

Pour s'approvisionner, les restaurateurs hantent les marchés forains où les étals des agriculteurs recèlent parfois des merveilles. Ils ont également leurs propres réseaux de petits planteurs chez lesquels ils savent dénicher la légumineuse rare. Et parfois, ces produits du terroir se retrouvent aussi au détour des cours et jardins des particuliers, comme dans le temps, où chacun cultivait son petit carré de racines et de lianes, et possédait à proximité son foyer au feu de bois. Toute une époque, que certains passionnés amateurs, botanistes, restaurateurs ou professeurs de cuisine, s'efforcent de préserver et de renouveller tout en l'adaptant à la société actuelle. Car outre l'effet de mode, cette volonté de remettre au goût du jour les légumes « lontan » traduit également le souhait de transmettre des valeurs d'authenticité aux générations futures. Chez tous les peuples du monde, l'histoire de la gastronomie est intimement liée à l'histoire de la vie.

© Valérie KOCH - Tous droits réservés - REPRODUCTION (MÊME PARTIELLE) INTERDITE

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